Le jazzman Martial Solal rattrapé par le démon du jeu

Martial Solal avait décidé de fermer son piano une bonne fois pour toutes. Mais ce passionné de courses a été rattrapé par le démon de la musique et va remonter encore une fois, à 91 ans, sur une scène parisienne, le 23 janvier. “J’avais arrêté il y a quatre ans à cause d’anévrismes et je m’étais dit maintenant ça n’est plus la peine, je vais mourir du jour au lendemain”, a confié l’un des pianistes les plus marquants du jazz du demi-siècle écoulé, en recevant l’AFP dans le confortable salon boisé de sa maison de Chatou dans l’ouest parisien où trône son instrument.

Mais surprise ! Après un an sans jouer, il a réapparu en duo avec le saxophoniste Dave Liebman, puis a donné quelques autres concerts, dont ceux du Sunside à Paris en duo avec le pianiste Jean-Michel Pilc en décembre 2016.
“Après avoir joué avec Pilc, j’avais à nouveau décidé d’arrêter en me disant: ça suffit maintenant, j’en ai marre de faire des gammes pour être en forme, confie-t-il. Et puis faire un travail colossal pour un concert tous les trois mois, c’est un peu inhumain.”

Il s’est néanmoins laissé encore convaincre de se rasseoir devant son clavier, au point de retourner en studio en juin dernier pour des “Histoires improvisées”. Mercredi prochain, il reviendra à Gaveau pour la première fois depuis… 1962 et 1963, lorsqu’il y avait donné une série de concerts en trio restés célèbres.

Le programme dans cette salle fétiche ? Des improvisations, évidemment, savantes digressions avec leur lot de surprises et rebondissements à partir de standards ou chansonnettes. Car outre sa technique, sa vélocité, ses talents de compositeur et d’arrangeur, ce qui a fait de ce pianiste un musicien exceptionnel, ce sont ses dons pour l’improvisation.
“Improviser, c’est facile, n’importe qui peut se mettre au piano et taper dessus. Moi, je vous rends improvisateur en cinq minutes, expose-t-il, mais vous serez un très mauvais improvisateur”.

Etre improvisateur en effet, ça ne… s’improvise pas. Martial Solal livre sa recette: “Pour faire un bon improvisateur, il faut d’abord savoir jouer de son instrument, s’être nourri de toutes sortes d’éléments du genre de la musique que vous voulez défendre, de la pratique évidemment, et puis voilà. Après, laissez-vous aller.”
Selon lui, point d’improvisation aussi sans tradition.
“La tradition, ça représente les fondations de la maison. Vous pouvez avoir un très joli toit, si vous n’avez pas de fondations, le toit ne tiendra pas”, souligne-t-il. “Une audace, ça n’est qu’une transgression de quelque chose qui existe déjà.”

Pas étonnant que Solal, qui a fait ses armes au Club Saint-Germain dans les années 50 avant de cultiver sa différence dans divers projets, cite parmi ses musiciens préférés le pianiste Erroll Garner, pour son mélange de tradition et d’audace, et le saxophoniste alto Charlie Parker. “Charlie Parker est pour moi incontestablement celui qui a déclenché un tournant historique. Il a modifié un certain nombre de choses par rapport à ses prédécesseurs qui ont fait que tout paraissait neuf. Il a renouvelé le répertoire.”

Solal s’est engouffré dans les brèches ouvertes par “Bird” et a rapidement imposé un ton singulier dans le jazz de l’époque. Afin d’être prêt pour son récital à Gaveau, ce pianiste original, débarqué à Paris en 1950 en provenance d’Alger, qui deviendra un pianiste d’une importance telle qu’il sera courtisé par les plus grands producteurs américains, travaille tous les jours depuis novembre. “Le piano, ça se travaille physiquement, avec des exercices, il y a une part de sport”, rappelle cet amateur d’athlétisme et de cyclisme. “Je commence le matin et j’arrête le soir, avec au moins 2/3 heures de travail effectif par jour. Avant c’était six heures”. Pour cet amateur de paris, le jeu en vaut encore la chandelle. “Je suis content quand j’ai un concert, parce que je me dis: tiens, je vais enfin entendre la musique que j’aime”.