Islande: un bus géant qui chevauche les glaciers menacés

Sur les neiges éternelles du Langjökull, un bus géant balade ses passagers jusqu’à 60 km/heure sur le deuxième plus grand glacier d’Islande, dont les scientifiques prédisent la disparition quasi-totale d’ici la fin du siècle. Sa carrosserie rouge longue de quinze mètres et ses huit roues motrices aux pneus larges de deux mètres arpentent une partie des 844 km2 multicentenaires de la calotte glacière, à l’ouest des hautes terres d’Islande.

À son point culminant, à quelque 1.400 mètres d’altitude, la vue est imprenable sur les sommets plats des monts enneigés dont l’Ok, ex-Okjökull, premier glacier d’Islande déclaré officiellement disparu en 2014 sous l’effet du réchauffement.

En ce jour d’octobre, le bus fait filer ses trente tonnes jusqu’à 60 km/h sur la poudreuse, grâce aux 850 chevaux sous le capot et à un ingénieux système de dépressurisation des pneus. Et franchit des crevasses larges de trois mètres.

De puissantes rafales de vent balaient les flocons fraîchement tombés mais une fois sur les hauteurs les nuages bas disparaissent pour laisser place à un ciel azur.

Un couple d’Italiens, parmi les rares voyageurs à avoir bravé le double test du Covid-19 et les cinq jours de quarantaine à l’arrivée, pose ses pieds sur un glacier pour la première fois.

“C’est vraiment émouvant… toucher quelque chose d’aussi vieux, on se sent tellement en contact avec la terre”, témoigne Rossella Greco, 30 ans.

Le Langjökull s’est formé il y a environ 2.500 ans et ses glaces les plus vieilles auraient cinq siècles, selon les glaciologues.

Le bus, baptisé Sleipnir comme le cheval aux huit jambes du principal dieu de la mythologie nordique Odin, consomme 45 litres d’essence aux 100 km et laisse des traces là où il passe.

Mais l’impact pour la calotte glaciaire “est faible tant qu’il ne s’agit que d’un ou deux véhicules”, estime Thorsteinn Thorsteinsson, glaciologue à l’Institut météorologique d’Islande.

Le long du chemin glacé montant depuis le pied du Langjökull des panneaux indiquent l’endroit où la ligne de glace a été enregistrée tous les vingt ans depuis 1940, témoignant de son amincissement rapide.

Près de 250 km2 de surface se sont évaporés depuis 1890 et la fin du petit âge glaciaire, un dégel accéléré par sa faible altitude.

“L’élévation du glacier diminue à de très nombreux endroits et on voit apparaître de nouveaux +nunataks+ (pitons rocheux s’élevant au-dessus de la glace des calottes glaciaire, ndlr). Il fond à une vitesse invraisemblable”, témoigne le guide Gunnar Gudjónsson, 56 ans.

En août, la vidange brutale d’un lac glaciaire formé par les eaux de fonte a provoqué une crue soudaine.
“Ce n’est pas un évènement majeur mais c’est arrivé dans une région où nous ne sommes pas habitués à de tels phénomènes”, explique Thorsteinn Thorsteinsson.

Ces inondations puissantes appelées “jökulhaup” sont normales autour du Vatnajökull (sud), plus grand glacier en volume d’Europe, et d’une tout autre échelle du fait de l’activité géothermique liée au volcanisme.

Mais elles sont vouées à se produire plus régulièrement ailleurs sur des glaciers au volcanisme faible ou inexistant, à cause cette fois du réchauffement climatique et de l’accumulation d’eau de fonte des glaces.

Les chances de survie de celui-ci sont nulles, prévient le glaciologue: “Si le climat reste similaire ou qu’il fait encore plus chaud, il est très probable que tout le Langjökull ou peut-être 80 à 90% aura disparu d’ici la fin de ce siècle”.