30.000 personnes dans les rues de Bruxelles pour dire “pas touche aux pensions”
Quelque 30.000 personnes, selon la police et le front commun syndical, se sont rassemblées lundi matin au centre de Bruxelles, place de l’Albertine, pour manifester pour le droit à une pension décente. La manifestation s’est terminée vers 12H30. Elle s’est déroulée globalement dans le calme, bien qu’un incident entre des pompiers et des policiers de la zone Bruxelles Capitale-Ixelles ait été signalé. Quatre agents ont été légèrement blessés.
Militants rouges, bleus et verts ont battu le pavé, suivant une centaine de pompiers mobilisés pour la cause, eux aussi. La grande majorité du cortège était constituée de travailleurs de l’enseignement flamand. Selon les syndicats du secteur, ils étaient à eux seuls 25.000.
■ Reportage de Lisa Saint-Ghislain et Nicolas Scheenaerts
Victime de son succès, la manifestation s’est ébranlée avec 30 minutes de retard sur le planning. De nombreux bus étaient encore coincés dans la circulation bruxelloise à l’heure initialement prévue. Vers 10H30, sous un beau soleil d’hiver mais dans un froid mordant, les manifestants ont remonté le Mont des Arts en direction de la place Poelaert dans une ambiance festive, accompagnés de quelques pétards et feux d’artifice.
La première cible des calicots était le formateur Bart De Wever, mais le président du MR Georges-Louis Bouchez n’a pas été oublié pour autant. Parmi la foule se sont aussi glissés les co-présidents d’Ecolo, Marie Lecocq et Samuel Cogolati, et le président du PS Paul Magnette. Pour ce dernier, il est clair que certaines personnes ne “pourront pas travailler jusqu’à 65 ans”, parce que leur métier est trop pénible – mentalement ou physiquement – “il faut donc en tenir compte, sinon ça sera un coût tant pour eux que pour la collectivité”. Le PTB avait lui carrément installé un podium au milieu du parcours, à hauteur du Sablon. Plus étonnant, quelques députés Vooruit, parti figurant pourtant parmi les négociateurs de l’Arizona, ont également manifesté.
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Place Poelaert, destination finale du cortège, cinq travailleurs ont témoigné de leurs conditions de travail et des risques sur leur après-carrière que pourraient faire peser les décisions des membres de l’Arizona. Les présidents des trois grandes organisations syndicales se sont ensuite adressés à la foule, ravis d’annoncer qu’il y avait “plus de 30.000 personnes”, soit “bien plus qu’espéré”.
Qu’importe la couleur, tous les syndicats s’inquiètent que l’on s’en prenne “encore aux plus faibles”, et de citer les travailleurs du service public ou les femmes. Pour les premiers, si les notes de De Wever qui fuitent aboutissent, “ils devront travailler beaucoup plus pour garder les mêmes droits”. Un non-sens pour le front commun syndical, qui rappelle que la pension constitue une part importante du package salarial dans la fonction publique.
En ce qui concerne les femmes à l’emploi, selon les calculs de la FGTB, plus d’un quart d’entre elles pourraient ne plus avoir accès à la pension minimum si les critères venaient à changer. Pour la secrétaire générale du syndicat chrétien, Marie-Hélène Ska, l’allongement continu des carrières ne fera en outre que multiplier le nombre de malades de longue durée, d’autant plus que “la pénibilité n’est toujours pas prise” en compte.
Du côté de la FGTB, Thierry Bodson a également prévenu : un comité fédéral sera réuni dès qu’un accord de gouvernement sera connu. “On passera à la vitesse supérieure, et ça peut aller jusqu’à la grève générale” pour être entendus. D’ici là, le prochain rendez-vous est fixé à Bruxelles le 13 février pour défendre les services publics.
Plus de 34.000 enseignants flamands en grève, un chiffre historique
Quelque 34.000 enseignants ont débrayé lundi, selon l’agence flamande de l’enseignement (Vlaams Agentschap voor Onderwijsdiensten). Près 25.000 d’entre eux ont participé à la manifestation à Bruxelles. Selon le COC (Christelijke Onderwijscentrale, équivalent de la CSC Enseignement), il s’agit d’un chiffre historiquement élevé.
Issus de tous les niveaux d’enseignement, à l’exception des universités, 34.314 enseignants flamands ont fait grève lundi. Sur un total de 211.317 professeurs, le taux de grève a ainsi atteint 16,24%. Le COC qualifie ce chiffre d’historique. “Un nombre aussi important d’enseignants en grève, cela ne s’est jamais produit dans l’histoire récente”, a déclaré le directeur du COC, Koen Van Kerkhoven. Ce dernier ne veut cependant pas parler de victoire. “Nous continuerons à nous battre. Les gens ne croient pas toujours ce que nous disons, mais les chiffres parlent d’eux-mêmes.”
M. Van Kerkhoven appelle par ailleurs à une réponse politique. “Et pas d’histoires de mesures transitoires. S’il faut économiser trois milliards d’euros à court terme, nous ne sommes pas dupes.” Les syndicats s’inquiètent notamment d’une éventuelle nouvelle méthode de calcul de la pension de la fonction publique par les négociateurs fédéraux de l’Arizona. Cette méthode prendrait en compte une carrière de 40 ans et plus seulement les dix dernières années, comme c’est le cas actuellement.
Selon le syndicat socialiste flamand ACOD, cela représenterait une perte de 200 à 400 euros pour les futurs retraités
Les réactions
Les organisations syndicales exigent des pensions “plus élevées”, “de bonnes conditions de travail tout au long de la carrière”, “des carrières plus courtes en cas de travail pénible”, “des cotisations sociales patronales à la hauteur des besoins” et “la fin des cadeaux inconditionnels aux entreprises”. Enfin, le front commun demande “un espace pour une véritable concertation sociale”.
Les représentants syndicaux ont prévenu que les projets de détricotages des pensions “ne passerons pas” en clôture de la manifestation. Le syndicat libéral a déclaré que certaines sorties des négociateurs de l’Arizona avaient pour but de “dresser les électeurs les uns contre les autres“. Les trois présidents des syndicats ont appelé les dizaines de milliers de manifestants à faire preuve de solidarité, et a faire front.
La fédération des entreprise belge (FEB) a réagi à ce mouvement de grève, elle juge que des réformes sont nécessaires au niveau des pensions en Belgique : “La FEB ne peut en aucun cas s’inscrire dans une logique syndicale axée sur le statu quo (…) Empêcher les réformes aujourd’hui, c’est s’assurer qu’en 2030, les interventions seront beaucoup plus drastiques”, affirme Pieter Timmermans, CEO de la Fédération.
L’Union des Classes Moyennes (UCM) dénonce un recours automatique à la grève. L’organisation dit “dit non aux grèves en cascade et aux grèves par anticipation”. “Nos PME, déjà fragilisées par une conjoncture économique difficile, méritent mieux que le chaos planifié.”
La fin de la manifestation a été marquée par des affrontements entre des pompiers et des policiers. Quatre agents de police ont été blessés lors de l’incident. Les Pompiers de Bruxelles ont réagi en dénonçant ces actes : “Les Pompiers de Bruxelles regrettent cette confrontation et déplorent toute forme de violence envers la police.”
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Les conséquences de la grève
Comme prévu, les transports en commun ont été fortement touchés par le mouvement de grève, avec seulement un train IC (entre les principales villes) sur trois. Un train S sur cinq roulait ce matin.
Le service de la STIB est aussi réduit d’un tiers de ses capacités habituelles. Un seul métro roule aujourd’hui, la ligne 1 étant prolongée vers Erasme.
Il y a aussi eu des conséquences sur le trafic aérien, 40% des vols ont été annulé à Brussels Airport. Un grand nombre de manutentionnaires de bagagistes et de personnel de sécurité participent à l’action syndicale de ce jour, ce qui entraîne l’annulation ou la reprogrammation de nombreux vols.
Des perturbations ont aussi eu lieu au niveau de la collecte des déchets. Ce matin, entre 25 et 30 % des camions de Bruxelles-Propreté n’ont pas été en mesure de sortir de leur dépôt, selon l’Agence régionale. Les communes les plus impactées sont Ixelles, Anderlecht et une partie de la ville de Bruxelles.
Les actions syndicales ont eu peu d’impact sur la distribution postale. Près de 90% des tournées ont été assurées normalement à travers le pays. Toutefois, plusieurs bureaux de poste étaient fermés à Bruxelles.
Des renforts policiers ont été nécessaires dans plusieurs prisons en raison de la grève, notamment dans la prison de Saint-Gilles.
Les raisons de la gronde
Le front commun syndical du jour proteste contre une potentielle attaque frontale contre les pensions de la part des négociateurs de l’Arizona. Ce sont principalement les régimes de pension préférentiels qui centralisent les inquiétudes des syndicats.
Cela concerne, par exemple, le personnel roulant du rail, les accompagnateurs de train et les chauffeurs, qui peuvent partir à la pension dès 55 ans. Les policiers bénéficient aussi de régimes préférentiels à certaines conditions. Selon les cas, les militaires peuvent également partir à des âges préférentiels.
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Des spécificités qui sont justifiées selon les acteurs du secteur. Pour le moment, on ne connaît pas le contenu des négociations fédérales concernant les pensions. Il est donc impossible de savoir quelles mesures sont prévues pour ces régimes spéciaux, mais ils pourraient être menacés par les potentielles mesures d’économies.
Un calendrier syndical chargé
Cette action s’inscrit dans une volonté des syndicats de mettre la pression sur les négociateurs du fédéral. Les organisations de défense des travailleurs ont annoncé organiser des actions tous les 13 de chaque mois.
Déjà, le 13 décembre, il y avait eu un rassemblement place Poelaert pour protester contre les potentielles mesures d’austérité et sur les questions de justice fiscale. Le 13 février prochain, un rassemblement devrait avoir lieu sur la thématique des services publics. Difficile de savoir si, entre-temps, la coalition Arizona et ses potentielles futures mesures socio-économiques seront encore une réalité.
À cela, il faut ajouter de nouvelles actions qui sont prévues dans le secteur de l’enseignement. La semaine du 20 janvier, des arrêts de travail en front commun syndical auront lieu dans les établissements. Une grève de 48 heures sera organisée les 27 et 28 janvier, avec une manifestation prévue à Bruxelles le 27.