De nombreux médecins en grève, une première depuis 2001

De nombreux médecins sont en grève ce lundi, avec un suivi très variable selon les hôpitaux. Des actions symboliques sont également organisées. Les soins vitaux sont assurés. C’est la première action nationale des médecins depuis 2001, un événement rare dans une profession peu habituée aux mouvements collectifs.
L’Association belge des syndicats médicaux (ABSyM) maintient son appel à la grève pour le lundi 7 juillet, avait-elle indiqué vendredi à la suite d’une concertation avec le ministre fédéral de la Santé publique, Frank Vandenbroucke, jeudi soir. L’ABSyM estime que les modifications apportées à l’avant-projet de loi-cadre du ministre sont insuffisantes et difficiles à transposer sur le terrain. La Fédération des maisons médicales, elle, a déjà pris ses distances avec l’action, estimant qu’une réforme du système était bel et bien nécessaire.
Les participants de la réunion, à savoir l’Inami, les mutualités, les dentistes et les médecins via leurs organisations représentatives, ont reçu un projet de loi modifié sur une série de points quelques heures avant la concertation. “Impossible d’analyser en détail les modifications apportées au texte, mais une lecture rapide montre que même si le texte amendé rencontre certaines demandes formulées par les syndicats médicaux, elles restent globalement insuffisantes et difficiles à transposer sur le terrain“, avance le président de l’ABSyM, Patrick Emonts. Ce dernier estime impossible que l’avant-projet de loi-cadre soit réécrit en profondeur avant que le ministre ne le dépose en première lecture avant les vacances parlementaires.
Le ministre et les organisations syndicales se sont vus pour la septième fois jeudi soir. Les syndicats des médecins ont appelé à déposer bistouris et stéthoscopes le 7 juillet, dans le cadre d’une grève nationale. À l’origine de cette mobilisation : un profond malaise face aux réformes portées par le ministre fédéral, jugées menaçantes pour l’autonomie des soignants et la stabilité financière des hôpitaux.
Une démarche rare dans le secteur. “Cela fait plus de vingt ans que les médecins n’ont plus appelé à la grève”, rappelle Patrick Emonts, président de l’ABSyM. “Ce n’est pas un simple coup de colère, mais un mouvement de fond pour défendre une médecine libérale aujourd’hui mise à mal par l’avant-projet de loi-cadre du ministre.” Les dentistes se sont également joints à l’initiative. En Flandre, le syndicat de médecins ASGB prévoit aussi des actions, sans pour autant paralyser les soins.
83% de grévistes aux Cliniques de l’Europe
Selon Le Journal du Médecin, aux Cliniques universitaires Saint-Luc, on indique que “les médecins qui souhaitent se mettre en grève à titre individuel pourront le faire. Ceux qui souhaitent marquer leur support au mouvement peuvent, s’ils le souhaitent, porter un brassard.” A Brugmann, “les médecins soutiennent la grève mais sont là en poste pour ne pas abandonner leurs patients.”
Aux Cliniques de l’Europe, “83% des médecins se sont déclarés grévistes”, tandis que l’impact sera limité pour l’Hôpital universitaire de Bruxelles (Erasme, Hôpital des Enfants, Jules Bordet) avec “moins de 10% de grévistes, avec des secteurs plus concernés que d’autres puisque certains secteurs comme la dentisterie ou l’ophtalmologie ont décidé de suivre le mouvement de façon plus importante”.
Les patients concernés ont été prévenus par les hôpitaux. En ce qui les consultations privées, il est conseillé de contacter son médecin.
Les raisons de la grève
L’avant-projet de loi-cadre touche des nerfs sensibles dans la profession. Le premier point de crispation concerne la volonté du gouvernement de plafonner les suppléments d’honoraires à 125 % dans les hôpitaux et à 25 % en ambulatoire. Présentée comme un moyen de rendre les soins plus accessibles, cette mesure est perçue par les médecins comme une atteinte à leur liberté tarifaire. Elle constituerait aussi, selon eux, une menace pour le financement indirect des hôpitaux, qui s’appuient sur ces suppléments pour garantir la qualité des soins et investir dans du matériel de pointe.
“On ne comprend pas pourquoi le ministre s’attaque aux suppléments d’honoraires alors qu’une réforme de la nomenclature est déjà en cours“, souligne Patrick Emonts. “Il faut d’abord fixer des tarifs de référence clairs pour les actes médicaux, et ensuite définir un plafond cohérent pour les suppléments. Les choses doivent se faire dans le bon ordre.” Le ministre répond que les deux réformes sont effectivement liées et que la réforme finale n’entrerait en vigueur qu’en 2028.
Autre sujet sensible: la suppression du conventionnement partiel. Les médecins seraient contraints de choisir entre un conventionnement total ou aucun. Pour l’ABSyM, cette mesure risque de produire l’effet inverse de celui recherché, en poussant de nombreux praticiens à se déconventionner. S’ajoute à cela la volonté de conditionner l’octroi des primes et aides financières de l’Inami aux seuls prestataires conventionnés. “Qu’un médecin soit conventionné ou pas, il supporte les mêmes charges, notamment liées aux logiciels, au matériel informatique ou aux contraintes administratives“, rétorque Patrick Emonts.
Enfin, la possibilité de retirer le numéro Inami d’un médecin suscite la plus vive opposition. Le ministre affirme que cette mesure vise à cibler les fraudeurs et les charlatans. Mais pour l’ABSyM, c’est une ligne rouge. “C’est une atteinte à la séparation des pouvoirs et à la démocratie. S’il y a des escrocs, ils doivent tout simplement être poursuivis devant les tribunaux.”
En toile de fond, c’est la crainte d’une étatisation progressive de la médecine qui traverse la profession, à l’image du système de santé britannique. “Regardez le NHS: il est au bord de la faillite. On y observe une médecine à deux vitesses, où ceux qui ont les moyens sont soignés rapidement tandis que les autres patientent indéfiniment. La Belgique pourrait basculer dans le même schéma“, avertit le président de l’ABSyM.
Plusieurs praticiens s’inquiètent également des conséquences pour les patients. Dans un système trop centralisé, ces derniers pourraient perdre la liberté de choisir leur médecin et être contraints de consulter celui qui leur serait attribué en fonction de leur lieu de résidence. “Ce qui est certain, c’est qu’on se dirige vers moins de liberté, moins de souplesse et moins de qualité, avec en parallèle une mainmise politique de plus en plus forte sur l’organisation de la médecine“, prévient Patrick Emonts. “C’est précisément pour cela que nous appelons à une mobilisation massive le 7 juillet.”
De son côté, le ministre Vandenbroucke se dit prêt à revoir sa copie, à condition que le système qui en résulte soit plus lisible et plus transparent, garantissant une rémunération correcte pour les soignants et une meilleure sécurité tarifaire pour les patients. Une concertation est encore prévue avec les syndicats jeudi soir.
Avec Belga