"The War Show", amitié et mort dans une Syrie plongeant vers l'abîme

Documentaire très personnel, “The War Show”, présenté cette semaine hors compétition officielle à la Mostra de Venise, capte les vies d’un groupe de jeunes Syriens, de l’excitation des premières manifestations contre le régime aux horreurs indicibles qui ont suivi. Quand Obaidah Zytoon, une DJ syrienne, fuit la Syrie, elle emmène avec elle cinq disques durs d’images tournées entre 2011 et 2013, qu’elle a demandé au réalisateur danois Andreas Dalsgaard de l’aider à trier. “Ils ont commencé à tourner avant le début de la révolution”, explique le réalisateur à l’AFP à Venise. Obaidah Zytoon, encore traumatisée, n’a pour sa part pas souhaité parler à la presse.

Son film présente Amal, étudiante en économie, Houssam, architecte, Rabea, fou de musique, Lulu, étudiante en droit et son petit ami poète Hisham etc, de l’insouciance sur la plage jusqu’aux barrages de snipers… et se termine avec la mort de plusieurs d’entre eux. “Il y avait une puissance singulière dans ces images, dans leur désordre fragmentaire, et c’était très authentique parce que cela a été filmé par des gens qui avaient une énergie entre eux, un lien spécial”, raconte Andreas Dalsgaard. “Et ce qui est formidable, c’est qu’ils ne rentrent pas dans les cases. Ils aiment la poésie islamique du XIIIe siècle, ils aiment le hip-hop libanais et The Doors”, ajoute-t-il.

Caméra sur l’épaule et le coeur empli de rêves de liberté, ils descendent dans les rues dès le début en 2011 du mouvement de contestation du régime de Bachar al-Assad, durement réprimé par les forces de l’ordre. Dans une scène particulièrement émouvante, une fillette d’à peine 10 ans refuse de couvrir son visage à l’image, malgré les risques de représailles: “Je ne manifeste pas pour me laisser suffoquer. Je manifeste pour respirer !”

– Tambours, joints… et tortures –
Le documentaire explore ensuite la naissance du conflit, depuis de simples accrochages jusqu’aux batailles rangées. “Beaucoup de rebelles ayant pris les armes l’ont fait pour protéger les manifestants attaqués par le régime”, rappelle le réalisateur danois. Puis les groupes se sont organisés, souvent en fonction des puissances dont ils cherchaient le soutien. “L’Amérique veut des rebelles laïcs, l’Arabie saoudite veut des rebelles sunnites, tout comme le Qatar, et une étrange économie se met en place. Des gangs ou des groupes criminels entrent dans ce jeu parce qu’ils voient qu’ils peuvent y gagner des fonds et des armes”, ajoute-t-il.

De Damas à Zabadani, la ville natale d’Obeidah Zytoon, en passant par Homs (centre), Qassab, Sarakeb (nord), Kafranbel (nord-ouest), le groupe d’amis trouve des villes assiégées, des familles affamées, des enfants blessés et des hommes marqués par les tortures. Pour ces jeunes aimant avant tout jouer du tambour et fumer des joints, les récits de torture, d’emprisonnement et de mort sont un véritable traumatisme.

Mais le cauchemar n’est pas fini, et le dernier chapitre du film montre des images désormais familières: la dévastation des villes, l’exode de centaines de milliers de personnes et les embarcations de fortune qui amènent les réfugiés sur les rivages de l’Europe. “La manière dont l’Europe réagit et a réagi à la crise des réfugiés est un scandale et j’espère que ce film pourra, d’une manière humaine, nous faire comprendre plus profondément pourquoi les choses ont évolué comme cela en Syrie”, explique Andreas Dalsgaard. “On ne parle pas de fous, ou d’une culture folle”, insiste-t-il, en espérant que ce “document historique important sera utile dans les prochaines années”. Il devrait au moins être vu: “The War Show” sera également présenté au festival du cinéma de Toronto puis à celui de Londres.