Raoul Peck : "Mon film scelle le monument James Baldwin"

Le documentaire “Je ne suis pas votre nègre” nommé mardi aux Oscars, a été réalisé par l’Haïtien Raoul Peck, pour “sceller à jamais le monument James Baldwin”, figure littéraire de la lutte pour les droits civiques des Afro-Américains. James Baldwin (1924-1987), écrivain noir et homosexuel, s’était réfugié à Paris entre 1948 et 1957, avant de repartir sillonner les Etats-Unis pour plaider la cause de la communauté noire, victime de ségrégation. Il était devenu l’ami des leaders du mouvement noir Malcolm X, Martin Luther King et Medgar Evers. Tous trois assassinés “avant 40 ans”, souligne Raoul Peck, réalisateur de “I’m not your negro”, président de la Fémis à Paris.

Le réalisateur ne supportait pas l’idée que Baldwin tombe dans l’oubli, qu’on le pille “sans le citer”. Il a puisé dans ses livres, ses lettres pour que “la confrontation” ait lieu entre Baldwin et le public. Tous les mots de son film sont ceux de Baldwin. La parole de l’écrivain est donnée à entendre “sans filtre”.

Le comédien Samuel L. Jackson lui prête sa voix dans la version américaine et le rappeur JoeyStarr, pour la française, prochainement diffusée sur la chaîne franco-allemande Arte. “Ils jouent de l’intérieur…” de la peau noire de Baldwin, fait remarquer le documentariste. Selon le cinéaste, Baldwin est “le père de tout le monde” et a influencé des auteurs comme Toni Morrison ou Allen Ginsberg. “Il a inventé un langage d’une force incroyable.”

La conception du documentaire, qui sort le 3 février dans les salles américaines, a surtout bénéficié du “soutien indéfectible” de Gloria Baldwin, la soeur cadette, assistante et légataire de l’écrivain. A plus de 80 ans, elle tient toujours “à bout de bras le patrimoine” littéraire que représente l’oeuvre de son frère “pour le monde”, selon le réalisateur. Gloria Baldwin lui a donné accès à toutes ses archives y compris “trente pages de notes” inédites sur ses amis de lutte, écrites pour son dernier projet de livre: “Remember this house” (“Souviens-toi de cette maison”).

Après quatre années d’échanges avec Raoul Peck, Gloria lui a tendu ces notes en disant : “Tu sauras quoi en faire”, se souvient-t-il. Ces notes lui ont servi “de porte d’entrée” au projet de film entamé depuis plusieurs années. “Mon titre est bien sûr une provocation”, explique-t-il, “Baldwin vous regardait dans les yeux et disait: +I am not a nigger+” (“Je ne suis pas un nègre”).

Le discours de Baldwin demeure politiquement incorrect pour les télévisions américaines où son film ne passera jamais, assure le réalisateur.
C’est un film “à gros risques artistique et politique” qui dénonce le racisme de “Trump et tous ses semblables”, ajoute-t-il. “La main mise sur l’histoire est celle du mâle blanc dominant”, dit-il. Certaines images des récents heurts raciaux, à Ferguson et Baltimore, aux Etas-Unis, intégrées au film, en noir et blanc, rappellent l’actualité du sujet.

“L’innocence” n’est plus possible, argue Raoul Peck, en résumant la pensée de Baldwin: “Vous ne pouvez pas me parquer dans les ghettos et me lyncher sans devenir des monstres.” Son film dénonce aussi “la fabrication du nègre” par l’industrie du cinéma hollywoodien. Pour lui, Hollywood s’est bâti sur l’histoire de “deux génocides qui ne disent pas leur nom”, celui des Indiens et celui des Noirs.

Les critiques ont leur part de responsabilité avec “l’image manquante” de l’homme noir au cinéma, avance-t-il. Sciemment ou non, “ils ont collaboré”.

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25 janvier 2017 - 07h45