Pour le chorégraphe français Angelin Preljocaj, un jour sans danser est un "jour perdu"

A bientôt 60 ans, dont 30 à le tête de la troupe qui porte son nom, le chorégraphe français Angelin Preljocaj, l’une des principales stars de la danse contemporaine, dit danser encore “tous les jours”. “Quand je suis en création, j’aime chercher le mouvement dans mon corps. Comme disait Nietzsche, qu’un jour où on n’a pas dansé soit considéré comme un jour perdu”, dit à l’AFP M. Preljocaj.
Depuis le milieu des années 1980, il a chorégraphié près de 50 pièces, dont des créations reprises sur les plus grandes scènes du monde, du New York City Ballet à la Scala de Milan.
Il est aujourd’hui directeur artistique du Pavillon noir à Aix, un centre chorégraphique conçu pour lui et inauguré en 2006, où il dirige une troupe de 24 danseurs. Mardi, c’est dans un théâtre voisin qu’il a présenté sa dernière création “La Fresque”, inspirée d’un conte chinois.
S’il confirme humblement avoir été “souvent approché” pour prendre la tête du ballet de l’Opéra de Paris, il dit vivre “un bonheur incroyable” à Aix et n’avoir aucune “intention de partir”.
Né dans la banlieue parisienne en 1957 – ses parents réfugiés ont fui l’Albanie du dictateur stalinien Enver Hoxha -, Angelin Preljocaj grandit avec quatre soeurs “dans les cités” de la ville de Champigny-sur-Marne, à l’est de la capitale, dirigée par des communistes depuis 1950.
Pourquoi devient-il danseur ? “C’est une photographie de Noureev qui m’a happé, le montrant dans un saut magnifique, avec un visage illuminé de l’intérieur et la légende +Rudolf Noureev transfiguré par la danse+. J’étais un gamin, ça m’a fait un choc”.
Dès le début, la danse est pour lui “un vrai combat, contre ma famille, contre les gens de la cité qui ne comprenaient pas. Puis ça a été un combat d’imposer une compagnie de danse et une esthétique contemporaines dans un milieu où la danse classique était très portée par les institutions”.
Un autre combat, politique, a eu lieu en 1995, quand l’extrême droite remporte les élections municipales à Châteauvallon (sud-est), où sa troupe est alors implantée. “Je n’étais pas d’accord avec les tendances politiques du nouveau maire Front national et j’ai préféré partir. Quand on est un centre chorégraphique national, on a dans son conseil d’administration des membres de la municipalité et je ne voulais pas vivre ça”.

De son pays d’origine, où il ne retournera qu’après la chute du régime en 1991, il garde la maîtrise de l’albanais, qu’il parle avec un accent français “horrible ou hilarant”, plaisante-t-il, ainsi qu’un certain nombre de thématiques qui surgissent régulièrement dans ses ballets.
“Les Balkans, c’est quelque chose qui finit par sourdre, en filigrane, peut-être dans tous mes spectacles”, affirme-t-il, à l’instar de son “Hommage aux Ballets Russes” de 1993, qui met en scène le mariage traditionnel albanais, basé sur le rituel du rapt.
“J’ai toujours été étonné des mariages français très gais. En Albanie, une sorte de drame se déroulait, les femmes pleuraient, les hommes tiraient des coups de feu en l’air… c’était très fort comme choc culturel”.
En 1990, il situe sa création “Roméo et Juliette” dans le contexte des régimes totalitaires des pays de l’Est, et travaille avec deux autres artistes des Balkans, le dessinateur de bande-dessinée Enki Bilal et le musicien Goran Vejvoda.
Parmi ses collaborations éclectiques, figurent entre autres les musiciens Air ou les créateurs Jean Paul Gaultier et Azzedine Alaïa.
A la rentrée 2016, il a présenté à la Mostra de Venise son premier long-métrage “Polina, danser sa vie” réalisé avec la cinéaste Valérie Müller, son épouse, et se dit passionné par le cinéma. Il vient également de réaliser la publicité du nouveau parfum Hermès.
“La meilleure façon de nourrir la danse, c’est par l’extérieur. Il ne faut pas entrer dans une sorte d’auto-nutrition”, affirme Angelin Preljocaj.