Malgré les contraintes, le cinéma iranien a conquis le monde

Les hommages rendus au cinéaste Abbas Kiarostami, décédé lundi à Paris à 76 ans, mettent en évidence l’importance prise par le cinéma iranien dans le monde en dépit des restrictions imposées aux réalisateurs ayant choisi de rester tourner en Iran. Au dernier festival de Cannes, Abbas Kiarostami avait rappelé que dans son pays, “il y a d’un côté le cinéma d’Etat financé par les autorités et de l’autre le cinéma indépendant qui prend de l’essor”. Comme pour lui donner raison, le film “Le Client” du metteur en scène iranien Asghar Farhadi était récompensé deux fois par le jury, avec le prix du meilleur rôle masculin décerné à Shahab Hosseini et celui du meilleur scénario. Le metteur en scène indépendant américain Jim Jarmush, qui a fait jouer dans son dernier film “Paterson” l’actrice iranienne exilée Golshifteh Farahani, a qualifié le cinéma iranien “d’un des jardins du cinéma à travers le monde”.

Pour Scott Roxborough du magazine cinématographique The Hollywood Reporter, la clé du succès du cinéma iranien est sa positon de “pont entre l’Occident et le monde musulman”. “Pour le public occidental, le cinéma iranien est la combinaison du familier et de l’étrange”, a-t-il déclaré à l’AFP. Parce que les réalisateurs en Iran “ne peuvent pas toucher directement aux questions politiques, ils se focalisent sur les histoires personnelles, notamment celles des enfants”, note-t-il, estimant que les restrictions imposées par les autorités ont en fait bénéficié aux artistes. “Le langage métaphorique étant considéré comme suspect, ils se sont spécialisés dans le réalisme proche du documentaire, mais qui a pris un caractère mythique et presque fabuleux”.

Les succès cinématographiques de l’Iran sont d’autant plus impressionnants qu’il existe des lignes rouges religieuses, politiques et culturelles strictes à ne pas franchir et que les cinéastes doivent obtenir l’approbation des autorités avant de pouvoir tourner. Jafar Panahi, un protégé de Kiarostami, a remporté l’an dernier l’Ours d’or du festival de Berlin pour son film “Taxi” alors même qu’il a été condamné à 20 ans d’interdiction de tournage pour avoir réalisé un documentaire sur les manifestations de 2009 contre la réélection contestée du président ultraconservateur Mahmoud Ahmadinejad. Le jeune metteur en scène Keywan Karimi a pour sa part été condamné à 223 coups de fouet et six ans de prison après avoir réalisé un film sur les graffitis de Téhéran. Une forte mobilisation internationale en sa faveur a sans doute contribué à ce que sa peine soit ensuite largement réduite. Mais, dans le même temps, les Iraniens ont l’une des plus riches traditions artistiques au monde – datant des grands poètes persans de l’Antiquité – et l’art reste au centre de la vie quotidienne.

“Nous pouvons être en retard dans de nombreux domaines (…) mais, à coup sûr, dans le domaine de l’art, nous pouvons attirer l’attention du monde entier”, a assuré à l’AFP le réalisateur iranien Shahram Mokri. “Kiarostami a montré comment mettre de côté les préoccupations quotidiennes en matière politique pour parler de thèmes plus universels”, souligne-t-il, ajoutant: “Il s’est tenu à l’écart des questions marginales, évitant de juger les autres et se focalisant sur l’art, la poésie et la peinture. Il vivait seulement dans le monde de l’art”.

Malgré une multitude de grands cinéastes, c’est bien le succès de Kiarostami qui a inspiré les jeunes artistes qui l’ont suivi. “Il a certainement ouvert la voie et influencé beaucoup de gens”, a déclaré Asghar Farhadi au quotidien britannique The Guardian. Selon lui, “il n’était pas seulement un metteur en scène, mais aussi un mystique moderne, à la fois dans son cinéma et dans sa vie privée”.