La France auscultée par Raymond Depardon en caravane

“Pour se mettre à la hauteur des gens, humainement”, le photographe et cinéaste français Raymond Depardon a choisi la caravane comme moyen d’approcher les Français dans son dernier film intitulé “Les Habitants”. “On vient de Paris, on est journaliste, on est cinéaste et on risque +d’écraser+ les gens, il faut faire très attention”, dit-il. “La caravane, j’ai fait exprès de pas la prendre trop luxueuse, c’est pas le van du showbiz!”, explique-t-il lors d’un entretien avec l’AFP.
Depuis ses débuts de documentariste, Raymond Depardon, 73 ans, a posé son regard humaniste aussi bien sur de grandes personnalités politiques que dans le monde paysan ou près de combattants afghans.
Cette fois, il a sillonné son pays de Nîmes au sud à Charleville Mézières dans le nord-est, à l’écart des grandes villes et des paysages spectaculaires, pour s’approcher d’une France “normale”, banale presque et rarement représentée à l’écran.
Le film s’ouvre sur une petite route au soleil où file la caravane sur une musique guillerette.
Depardon et sa petite équipe s’arrêtent – pas plus de trois jours – sur une place, au plus près de l’animation, et invitent deux passants déjà en train de discuter à poursuivre leur conversation dans leur studio improvisé.
“La conversation, dans ces villes moyennes, elle est encore très importante, parce que les gens passent moins de temps dans les transports en commun que dans les grandes villes, ils ont un peu ce luxe”, raconte-t-il. “C’est l’improvisation d’une rencontre: viens, on va boire un café”.
La caméra se fait si discrète que les “couples” invités à converser dans la caravane se livrent sans restriction. L’amour, la séparation, les études, le boulot ou l’absence de boulot forment l’essentiel des conversations.
“Je pensais que les gens allaient davantage parler de la crise, mais non, ils sont avec la vie de tous les jours et ils prennent beaucoup sur eux. Il y a une résilience”, dit-il.
Les “Habitants” de Depardon (52 à l’écran sur 180 filmés) parlent avec l’accent, dans une langue parfois choquante lorsqu’il s’agit des rapports entre garçons et filles. Deux jeunes femmes parlent du couple: “T’es sa femme de ménage, son objet sexuel”, dit l’une. “C’est la guerre”.
“C’est assez dur, c’est un constat assez difficile pour les femmes. Il y a un côté cru dans les relations hommes femmes”, reconnaît Raymond Depardon.
“Les phénomènes de notre époque que sont les divorces et les familles recomposées touchent maintenant les villes moyennes, ce n’est pas réservé à des grandes capitales avec des professions libérales, ajoute-t-il. C’est un peu un gâchis”.
Mais l’énergie de ces femmes souvent malmenées par leur conjoint l’a impressionné: “Elles prennent le taureau par les cornes, elles retroussent les manches, elles veulent rester dans ces villes, élever leurs enfants là”.
Raymond Depardon a assisté à de nombreuses projections de son film, à Paris et en province. “J’ai remarqué que des gens sortaient de mon film un peu déprimés. Si tu ne prends pas les transports en commun, si tu ne lis pas un quotidien ou deux par jour, le film peut être un choc”, reconnaît-il.
Avec respect, sans parti pris, Depardon ausculte une “France d’en bas” que la sphère politique et médiatique semble avoir désertée depuis longtemps.
“Quand j’ai présenté mon projet, on me disait +ouh là là, la France c’est très compliqué, comment tu peux oser te confronter au territoire+ ? Mais justement, pour ne pas abandonner à certains extrêmes ce territoire, et bien il faut y aller, c’est à nous, à des gens comme moi d’y aller”.

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22 avril 2016 - 09h40