Empreint de poésie, "Une vie" captive la Mostra de Venise

Avec “Une vie”, un film délicat et élégant inspiré du roman éponyme de Guy de Maupassant et en compétition pour le Lion d’Or, le cinéaste français Stéphane Brizé a séduit les critiques de Venise. Stéphane Brizé, dont le dernier film “La loi du marché” avait valu le prix d’interprétation masculine à Vincent Lindon à Cannes en 2015, se plonge cette fois avec brio dans les tourments d’une baronne au XIXe siècle. La jeune et brune Jeanne (Judith Chemla) irradie encore de l’innocence de l’enfance lorsqu’elle revient dans le château familial en 1819 en Normandie après avoir fini ses études dans un couvent.

Elle s’occupe à de menus travaux dans le jardin avec ses parents, le baron (Jean-Pierre Darroussin) et la baronne (Yolande Moreau), dont la tendresse et l’esprit d’ouverture ne suffisent pas à la préparer à la vie adulte. Jeanne s’éprend rapidement d’un jeune vicomte local, Julien (Swann Arlaud), mais leur nuit de noces claustrophobe n’est que le présage des tromperies et souffrances à venir.

Le film, présenté en écran carré plutôt que dans le rectangle traditionnel, rassemble en accéléré certains passages du roman, transportant ainsi le spectateur de la rencontre entre Jeanne et Julien à leur mariage et cette nuit de noces en seulement quatre plans.

– Une intensité ‘dérangeante’ –
La caméra prend en revanche son temps autour de son héroïne, laissant les éléments atmosphériques et le cadrage faire écho à son état d’esprit. Devant la presse, Stéphane Brizé a expliqué avoir été attiré par l’histoire de Jeanne “parce qu’il y a quelque chose de dérangeant dans son intensité, son immense confiance en l’homme, sa relation particulière avec le monde”.

“Quand j’ai fait mes premiers pas dans la vie adulte, j’avais les mêmes sentiments que Jeanne, j’ai eu du mal à abandonner mon enfance”, a-t-il ajouté. Pour lui, Jeanne “reste attachée à son enfance, ce qui est à la fois beau et tragique”. Le choix du cadre carré s’est fait “à l’instinct, à l’émotion”. Brizé a essayé l’option cinémascope, utilisée pour les films en écran large, “mais cela donnait l’impression que tout était poussiéreux, trop classique. Le format plus petit confine Jeanne, comme une boîte, il est difficile d’en sortir”.

Contrairement au roman de Maupassant, le scénario utilise aussi les flashbacks, “pour montrer comment elle mélange le présent et le passé, ses désirs et ses espoirs, et qu’elle n’arrive pas à lâcher prise”, a expliqué Florence Vignon, co-scénariste. Dans de longs plans à la fin, une Jeanne terriblement vieillie se tient immobile dans les champs ou les allées, le silence seulement rompu par des vents violents ou des pluies diluviennes. “Stéphane m’a donné un espace infini pour trouver mon personnage, je me suis laissée aller”, a expliqué Judith Chemla. “J’avais tellement de temps et d’espace pour les scènes que je me suis oubliée. Même l’atmosphère, l’air changeaient”.

Cette flexibilité créative est au coeur du travail de Stéphane Brizé: “Je n’arrive pas avec une feuille de papier où j’aurais écrit ce que je veux. Je commence par renifler l’environnement, comme un chien qui détecte une odeur”, a-t-il expliqué.