Au Vietnam, des chamans pour panser les plaies

Maladie, stress, problèmes familiaux… Au Vietnam, le Len Dong s’attaque à tous ces maux. Cette tradition chamanique interdite pendant des décennies par les colonisateurs français puis par le régime communiste connaît un regain de popularité. Pendant ces longues cérémonies, dont la date est soigneusement choisie pour avoir lieu sous de bons auspices, les esprits des morts viennent prendre possession du médium qui alterne chant et danse, au rythme minimaliste de la musique. Au son des tambours et des chants, ce dernier est souvent en transe et attaque des ennemis invisibles avec une épée, boit et fume. “Quand je suis en service, j’ai l’impression que quelqu’un me laisse pénétrer au coeur de chaque chose, de chaque mot que je prononce, de chaque mouvement que je fais. Je ne suis plus moi-même”, explique à l’AFP La Thi Tam, chaman professionnelle.

Au cours de la cérémonie qui a lieu dans un petit temple qu’elle a aménagé elle-même, cette dernière ne cesse de changer de costumes, de chapeaux et d’accessoires de couleurs vives. Le lieu déborde d’offrandes et de bâtonnets d’encens, rappelant l’atmosphère des temples bouddhistes de ce pays d’Asie du sud-est, où perdurent en parallèle les croyances populaires comme le pouvoir des chamans.

Vue comme une hérésie, Le Len Dong a été officiellement interdit par les autorités communistes jusque dans les années 1980. Sa pratique a toutefois continué en secret. A la fin des années 1980, les restrictions ont petit à petit été levées et aujourd’hui la pratique est tolérée par les autorités. Cette ancienne coutume date du XIIIe siècle et fait appel aux “esprits des morts via le corps des vivants pour relier le passé et le présent”, d’après l’ouvrage de Nguyen Ngoc Mai intitulé “La cérémonie du Len Dong: histoire et valeur”, une référence sur le sujet.

La Thi Tam, ancienne chanteuse de 50 ans, pratique le Len Dong depuis une quinzaine d’années, après avoir été poursuivie, dit-elle, par un esprit dans son sommeil. Malade pendant un mois ensuite, incapable de manger, elle raconte s’être retrouvée à “ramper autour de sa maison en prononçant des mots étranges”.

– Temples privés –
Désespérée, elle s’est lancée dans le Len Dong sans rien dire à son mari policier. “La science, c’est exceptionnel, mais l’esprit du Len Dong est quelque chose d’incroyable qui ne peut ni s’expliquer ni s’imaginer”, affirme-t-elle à l’AFP dans son petit temple. “Après les cérémonies, je me sens heureuse, je sens que j’ai réalisé de bonnes choses”, confie cette dernière, rayonnante.

“Mes trois enfants pratiquent le Len Dong”, affirme Dao Thi Huong, elle aussi adepte. Cette dernière était persuadée qu’ils allaient hériter de la malchance de leurs ancêtres et risquaient donc une mort précoce. “J’avais très peur. S’ils n’avaient pas participé aux cérémonies, ils seraient morts”, affirme-t-elle, dans un pays où le culte des ancêtres a rang de religion.

D’après des chercheurs, cette pratique peut aider les personnes soumises à un stress intense ou souffrant de troubles psychologiques mineurs. Mais elle reste controversée. “Ceux qui ne comprennent pas peuvent se dire que je suis fou”, confesse Nguyen Thanh Tung, un autre adepte. “Je ne pensais pas être impliqué dans cette pratique un jour. Mais je pense que dans ma vie précédente, je devais être le fils d’un héros national”, assure-t-il.